lundi 30 décembre 2013

[voeux] 2013, sans rancune... So what, 2014?


Chère 2013,

J’espère que tu vas bien, et que tu n’es pas trop triste de nous quitter. Perso, j’ai un peu de mal à te laisser partir sans qu’on ait discuté. Tu vois, je pense qu’il est judicieux qu’on se pose un peu toutes les deux, et qu’on se dise ce qu’on ressent vraiment. Pour faire le bilan, se remémorer chaque instant, parler des histoires d’avant comme si… STOP, je m’égare. Bref oui, il est temps qu’on se parle.

Ca a mal commencé entre nous. Pourtant, tu es un nombre multiple de trois, ce qui dans mon cerveau légèrement toqué, me convenait pas mal. Puis en numérologie (toqué et mystique, double peine), ça me faisait une année "1" (la méthode de calcul numérologique peut se discuter plus tard, ce n’est pas le propos là) soit de nouveaux projets, d’innovation, un programme HYPER aguicheur.

Mais j’ai vite compris que tu t’étais mise d’accord avec fin 2012 pour installer un climat triste (et froid jusqu’en juin, mais ok, je ne te ferai pas porter le chapeau de la météo, c’est notre faute, le réchauffement climatique, tout ça). Tu m’as fait pleurer 2013. Sérieux, tu avais fait le pari d’exploser le record de lacrymalitrie (étym : lacrymal/pluviométrie), c’est ça ? C’était un concours entre toi et 2012, parce que je vous préférais 2011, 2008 ou 2006 (bien que ce ne soient pas des multiples de trois)?

Entre les manifs surréalistes défendant des schémas sociétaux obsolètes ou les tribunes racistes qui ont fait écho ici et là (pour la dimension macro de mon raisonnement) et les incompréhensions qui ont rythmé mes rapports avec mon entourage (dimension micro), tu m’as lessivée 2013. J'ai perdu foi en moi et en l’espèce humaine. Tu m’as fait douter, chuter (satané verglas de mars), tu m’as trompée, tu m’as fait louper des événements que j’attendais, tu m’en as gâché d’autres auxquels j’assistais, tu m’as lancé des reproches que je ressasse encore, et s’il n’y avait que moi… mais  tu m’as surtout rendue inquiète pour mes proches. Oh t'affole pas, je te rassure, ON EST COOL, CA VA. 



Je sais ce que tu vas dire: je suis injuste, une gamine gâtée qui manque de reconnaissance. J’y viens, 2013, j’y viens. On a eu nos bons moments, et c’est ce que je retiendrai, promis :

Tu m’as émue quand ils se sont dits oui en juillet. Quand j’ai vu ma famille aux mains d’un festival pour les uns, d’une pizzeria pour l’autre. Quand j’ai entendu résonner mes mots en chanson.

Tu m’as fait rire souvent, avec lui, et elle, et lui, et elles, et eux. Tu étais drôle lors de nos picnics estivaux qui se terminaient tard. Tu m'as fait rire (enfin, après coup) quand tu m’as rendue plus saoule que ça ne m'était jamais arrivé. Quand on a fait une battle musicale contre des anonymes quai contre quai en chantant du Aznavour au pied de Notre-Dame. Quand, avec vingt personnes, on a répété en pleine nuit, au milieu de la rue, une chorégraphie inventée en secret deux jours avant.


Tu m’as réconfortée entre deux trajets de métro, en faisant un détour pour me rejoindre, et dans des textos plein de bon sens.

Tu m’as scotchée quand tu m’as donné des responsabilités inattendues, avec un contrat d’adulte.

Et puis tu étais belle de nuit, 2013. Drôle souvent. Imprévisible. Insouciante.

Alors oui, je retiendrai…

L’odeur des draps de ma chambre d’hôtel en Floride, et des rues de l’Amérique, un violent  retour de boomerang façon madeleine de Proust, ivre de sensations laissées derrière moi cinq ans auparavant.

Les sons en espagnol que soudain je n’ai plus de mal à comprendre.

Ce regard un samedi soir de printemps. Et mon cœur qui bat très fort avant.  

Leurs yeux à eux et à nous qui pétillent, et la robe blanche.

Les vertiges d’une route en lacet sous la pluie battante d'août, les sourires des enfants à l’autre bout du monde, quelque part sur une île d’Indonésie.

Les foules anonymes et grisantes des milongas et des concerts.

Merci 2013, bye bye. Avant de fermer la porte, juste, tu veux pas glisser quelques idées à ton successeur? 

*         *         * 
       

En 2014, je vous souhaite que l’été ne se pointe pas en retard. De refaire le monde jusqu’à trois heures du matin même si vous travaillez tôt le lendemain. De cinématographiquement courir à perdre haleine pour rejoindre celui/celle que vous aimez (oui j'ai un cœur de midinette). Je vous souhaite de rater vos tartes au citron et de vous étouffer de rire en les goûtant. Je vous souhaite des applaudissements.
Je vous souhaite de dire, d’oser, d’aimer. Je vous souhaite d’être en bonne santé, de chuchoter des oui et de crier des non – et le contraire – de poser les questions les plus idiotes, d’obtenir les réponses, de vous impatienter, d’acheter des croissants au petit matin, de danser sur les bureaux de vos supérieurs, de bien vous entendre avec vos voisins, de perdre ces foutus trois kilos s’il le faut vraiment. Je vous souhaite des road-trips, de vous coucher sans vous démaquiller, je vous souhaite des soirées sages et des matinées folles -- et le contraire, des déjeuners de junk food et des superstitions farfelues, je vous souhaite de gagner au loto ou au flipper, de tenir vos plans pour l’avenir, je vous souhaite de vous surprendre, d’être ému, d'être révolté...

Je vous souhaite l’imprévu & l’évidence. 




[texte: L.D - Photo: Nora F. - tous droits réservés.]

vendredi 13 décembre 2013

(Parenthèse)



"Qu'est-ce que tu penses faire?"
-Partir ! 
-Ca je sais, merci. Tu vas où? 
-Tu m'accompagnes? Si tu viens avec moi, je te donne le programme: il est question de pirogues à pêcheurs et de plages ensoleillées. Les couchers de soleil y sont roses. On se douche au seau d'eau froide en revanche. Mais tu ne viendras pas, alors peu importe.
-Tu dramatises toujours." 
Elle sourit: "Oui c'est ma spécialité. On se revoit quand?"

Il avait refusé de répondre. C’était le deal en même temps : chacun devait choisir une destination lointaine et partir, seul, pendant plusieurs jours. « Une pause pour faire le point » comme dit l’euphémisme, et se confronter au fait de ne pas pouvoir compter sur l’autre, le "double"  -- quatre ans déjà qu’ils étaient ensemble. 

Depuis c’était devenu un jeu : ils se demandaient à tour de rôle où ils iraient et pour faire quoi. C’était son idée, à elle ; il avait trouvé ça stupide et déraisonnable. Il pressentait un voyage roots, dont le décalage horaire empêcherait toute communication ; il l’imaginait dans un pueblo perdu d’Amérique Latine… Mauvaise pioche, pensait-elle à part elle. Elle le voyait, lui, dans un pays nordique, urbain, où il aurait tout à loisir de passer des nuits à sortir et à "sociabiliser" ("tu me vois passer chaque instant de mon temps à draguer… tu vis dans un cliché" s’était-il agacé). 

Les amis aussi avaient grimacé : "C’est un break de riches". Ca l’avait mis mal à l’aise. Elle aussi, si prompt d'ordinaire à s’angoisser de l’avenir. Mais elle avait haussé les épaules en souriant, un peu gênée : "Peut-être. On va dire que ce sont des vacances, si ça vous choque moins." Dans le métro, elle avait jeté un "on les emmerde" carnassier. Il avait souri : elle savait passer de la douceur incarnée à la peste intolérante en trente secondes chrono. Cette petite chose toute douce se révoltait du regard, crachait des mots assassins contre le monde entier… et en culpabilisait l’instant suivant. 

La suite c’était là maintenant, la veille du départ. Ce dernier dîner tous les deux. Envolés les derniers mois d’incompréhension, les rancœurs et les tensions. Dans l’urgence de profiter, la fin rend complice. 

"On se revoit quand ?" répéta-t-elle.
-Ca va être bien, éluda-t-il. On se raconte au retour."

*                                 *                                 *

Il était 10 heures passées quand les couleurs de Nagari Sungai Pinang se dessinèrent devant elle. Après deux heures de route, dont une partie passée à sauter sur la banquette arrière du truck, remuée par les nids-de-poules et crevasses boueuses de la route, elle sortit de la voiture, chancelante, la boule au ventre – sorte de mécanisme hérité de l’enfance à l’arrivée dans un lieu inconnu.

Il faisait grand soleil, il faisait chaud bien sûr, et déjà, elle était accueillie à la Guest House. On lui confia son bungalow, on lui indiqua l’heure approximative des repas, et elle se retrouva là, à contempler l’eau depuis sa cahute sur pilotis. 


Le long de la plage, des petits garçons chahutaient dans l’eau, les hommes remontaient les bateaux de pêche. Elle parcouru le village et croisa quelques visages silencieux… Les regards étaient méfiants. Seuls les enfants s’approchèrent et la suivirent en criant en anglais : "Hello what’s your name ?" ; question à laquelle elle répondit dans un indonésien approximatif. Ils rirent.

Le lieu était idyllique mais ne se laisserait pas apprivoiser si facilement. Trois bungalows et une guest house: à cette période de l'année, ils étaient moins d’une dizaine de touristes. Une partie de l’argent perçu servait au développement du village. Cependant, aux regards suspicieux croisés, le projet n’était pas encore totalement bien accepté par tous les habitants.


Difficile de faire plus dépaysant. Elle trempa ses pieds dans l'eau -- les pieds, car traditions obligent, les femmes n'étaient pas autorisées au maillot de bain bikini sur la plage longeant le village, il fallait se rendre sur des zones plus isolées. Là, sous la lumière crue et vive, limite insupportable, du soleil, SON absence lui fut soudain insupportable. La boule au ventre était montée à la gorge : pleurer dans un décor de rêve, c’était à la fois cinématographique et ridicule. 

Et puis la mélancolie disparut… les trente cinq degrés et l’eau transparente y aidèrent pas mal. La tristesse laissa place à une seule certitude : lui, c’était LUI. "Cheesy",dirait-il s'il l'entendait penser. Bon, une fois ce constat accepté, il fallait faire avec l’angoisse de songer que peut-être son voyage à lui, lui démontrerait le contraire… Et l’instant suivant, elle jetait ces considérations dans l’océan bleu qui venait lécher les pilotis du bungalow. 


Les trajets sur les embarcations étroites des pêcheurs souriants finirent de la conquérir, à l'heure où les sommets nuageux de Sumatra s’assombrissaient sous le sunset mauve.

La Guest House semblait une bulle, où les jeunes guides bavardaient facilement, à la différence des autres habitants. Le soir venu, même les réserves polies tombaient ; ils se moquaient gentiment, et charmaient à la guitare. Le temps s’étirait longuement au bout du monde.


[textes et photos: L.D - tous droits réservés]




Soundtrack 
Warpaint "Love is to die"